La Propagation du Chaos
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LE CONVOYEUR
Après l'explosif Nid de guêpes de Florent-Emilio Siri (qui date quand même de 2001), on attendait de pied ferme le nouveau film de genre français qui allait nous faire bouillir les tripes. C'est chose faite désormais avec Le convoyeur de Nicolas Boukhrief...

Le convoyeur (2003)
Réalisateur : Nicolas Boukhrief
Avec : Albert Dupontel, Jean Dujardin, François Berléand, Claude Perron, Julien Boisselier...
Durée : 1h35

Affiche cinéma de Le Convoyeur

Après un premier long métrage autobiographique (Va mourire en 1994) et un exercice de style particulièrement exigeant (Le plaisir et ses petits tracas en 1997), Nicolas Boukhrief se décide enfin à aborder le cinéma qu'il a défendu corps et âme pendant des années : le cinéma de genre !
Membre fondateur (avec son pote Christophe Gans) de feu la revue Starfix, véritable bible du cinéma alternatif et bouffée d'oxygène pour les adorateurs du cinéma de genre coincés à l'époque entre Les cahiers du cinéma et Première, Boukhrief et sa bande ont fait découvrir à toute une tripotée d'adolescents boutonneux férus de cinéma (votre serviteur en faisait partie...), des réalisateurs méconnus comme John Mc Tiernan ou Paul Verhoeven, à l'époque totalement ignorés par la critique "classique"...
C'est donc avec une certaine hâte, mêlée d'une certaine appréhension que l'on attendait de voir ce grand défenseur du cinéma de genre, ce grand "fan" devant l'éternel, mettre enfin les mains à la pâte.

Alexandre Demarre se présente un matin au centre-fort de Vigilante pour entamer sa première journée de travail. Vigilante est une société de transport de fond qui vient de subir successivement trois braquages particulièrement violents. C'est dans un climat de suspicion particulièrement présent que Alexandre Demarre (chômeur, braqueur ou taupe ?) va intégrer l'univers de ces éboueurs de l'argent...

"1.000 euros par mois, 1.000.000 d'euros dans chaque sac"... Il est devenu extrêmement rare que l'accroche d'un film serve réellement son propos et ne se limite pas à un simple attrape couillon. C'est pourtant le cas avec Le convoyeur, car la première qualité du troisième long métrage de Nicolas Boukhrief est de s'intéresser à une profession encore jamais approchée sur grand écran : les convoyeurs de fond... ces éboueurs de l'argent comme il les appelle, ces"presque  flics" (ils ont un flingue mais aucune formation) qui transportent dans leurs sacs des millions alors qu'ils gagnent une misère et qu'ils sont la cible d'attaques particulièrement violentes voire mortelles.

Cette première qualité en amène forcément une autre... le réalisme saisissant des situations et une tension permanente à couper au couteau. Quoi de mieux au niveau dramaturgique que de livrer des gens normaux à des situations qui peuvent virer à l'extraordinaire. La routine des convoyeurs de fond joue ici un rôle primordial... elle endort pour mieux surprendre... car on ne sait jamais vraiment ce qui peut arriver... des mois et des mois à livrer ces sacs à fric en traversant les même routes dans une routine exaspérante jusqu'au jour où une voiture débouche de nul part, un groupe armé cagoulé s'élance vers le van, équipé de lances-roquette et de fusils à pompes...

Alexandre Demarre vers l'expiation...   Jean Dujardin sait faire autre chose que "Un gars, une fille", excellent !   La routine de l'emploi...  

En cherchant à aborder différemment le film de genre et surtout en essayant de s'échapper des poncifs que sont devenus les personnages de flic, usés et abusés par la lucarne de la télévision, Nicolas Boukhrief aborde des personnages inédits, mais exploite surtout un environnement totalement vierge, méconnu du grand public. Car on sent que l'auteur du scénario de Assassin(s) de Mathieu Kassovitz a encore des choses à dire et que le seul cinéma de genre, déraciné de son contexte social ne l'intéresse pas. Il en ressort un mariage un peu contre nature et pourtant savamment consommé, celui du film social et du film d'action. L'action et le suspense se voient bousculer par le regard auscultatoire du docu-drama criant de vérité. De cette équation complexe ressort la qualité principale du film de Boukhrief : l'authenticité ! Le convoyeur est un film sec comme un coup de trique, sans concessions ni fioritures, un film noir charbon avec des personnages désabusés tout droit sortis d'un livre de James Elroy.

La scène d'introduction apparaît alors comme un modèle de note d'intention. Un convoi est rondement mené à travers une route de campagne par trois types entre deux âges, passablement beaufs, dissertant sur l'importance toute relative de la mort des membres des Beatles... Ce sont des convoyeurs de fond.
Au loin, une voiture s'approche et son image grossit dans le rétroviseur... elle tente de doubler en klaxonnant de plus en plus frénétiquement... la tension monte. Les convoyeurs pensent avoir affaire à un simple chauffard puis la méfiance de l'un deux alerte les deux autres... peut-être faudrait-il relever le numéro d'immatriculation. L'appel radio n'a pas le temps d'être passé, une immense explosion dévore l'écran et le titre Le Convoyeur apparaît en lettres de feu. Comme pour la littérature où la première page sert à marquer sa patte, la première scène d'un film est souvent marquée d'une forte intention de départ par le réalisateur, c'est la signature qu'il donne d'emblée à son film et qu'il va tenter de préserver pendant les 2 heures approximatives du métrage. Avec cette scène, Boukhrief prévient immédiatement son audience :
- La tension va habiter tout le film... le risque peut apparaître à n'importe quel moment...
- Nous ne sommes pas dans un film de tchatche... la tchatche tue dans ce film.
- Authenticité... pas de super héros, juste des hommes fatigués et déchus en proie à des attaques qui peuvent surgir à tout instant.

A ce contexte bien planté et cette intention de départ sans équivoque s'ajoute un scénario particulièrement malin - même si l'histoire est assez simple finalement - qui va balader le spectateur pendant une bonne heure avec cet Alexandre Demarre, personnage fascinant qui sert de porte d'entrée dans l'univers des convoyeurs, mais dont on ne connaît finalement rien... Qui est-il, quelles sont ces motivations... et pourquoi semble t-il complètement bouleversé lorsque l'alarme de sa montre se déclenche ? Tout cela restera flou jusqu'à l'énorme séquence en flash-back, montée comme une énorme mécanique Hitchcockienne, le spectateur étant en avance sur le personnage de Dupontel, sachant qu'il va se passer quelques chose de terrible qui va constituer le point de rupture du film... mais n'en sachant pas assez pour savoir comment cela va se passer...
Tout s'éclaire tout d'un coup, et le film va alors laisser place à une fuite en avant, à un cheminement en ligne droite qui va forcément se terminer de manière dramatique...

Mais tout cela ne serait rien sans la force principale du film qui magnifie tous ses éléments de base et là de souligner la justesse et l'efficacité du casting, avec en tête l'immense, que dis-je le magistral Albert Dupontel, véritable gueule de drame, clown triste au regard noir qui vous bouffe l'âme. Dupontel apparaît comme un acteur extraordinaire complètement sous-exploité par la profession qui le rejette en bloc (voir sa galère personnelle pour monter depuis trois ans son troisième film, Enfermés dehors). Après Irréversible, Dupontel marque une nouvelle fois la pellicule de sa présence si particulière et définitivement hors norme, focalisant toute l'attention sur ces yeux noirs charbons inquisiteurs jusqu'à ce magnifique plan où le spectateur regarde Alexandre Demarre qui se regarde dans le miroir alors qu'il semble nous regarder... troublant. A ses côtés, on retrouve son alter ego féminin, Claude Perron et un casting de sales gueules absolument parfait. On est pas loin du western à certains moments, pas loin non plus du Bronson jouant de l'harmonica dans Il était une fois dans l'Ouest, remplacé ici par un Dupontel qui pleure au son de l'alarme de sa montre digitale.

La réalisation du film est à l'image de son propos et oscille entre ses deux axes extrêmes. A la limite du documentaire lors de la première partie du film qui décrit le quotidien sordide des convoyeurs de fond, la caméra étant littéralement rivée sur les personnages... la réalisation devient sophistiquée sans jamais perdre de son authenticité lorsque le cinéma de genre pointe son nez. Et ceci jusqu'à la la scène finale qui transperce littéralement le spectateur entre rêve et réalité, bercée par une musique hypnotique. Toute la tension accumulée explose soudainement pour aboutir à l'expiation douloureuse de son héros, définitivement pas comme les autres.

Au final, on reste bouche bée devant cet ovni si riche et pourtant si brutal et sec dans sa forme... un vrai film de genre, abordé sous un oeil authentique... jusqu'à ce générique de fin définitivement attachant où les personnages d'outre tombe réapparaissent une dernière fois... un générique de fin qui singe celui du Predator de John Mc Tiernan... un joli au revoir en forme de pied de nez...

Putain, ça fait du bien !

Jacob's Ladder style...
Néo Bàkà Gaijin
12/04/2004
WEB LIST

www.leconvoyeur-lefilm.com
Le site officiel du film Le Convoyeur



Pour tout savoir sur Nicolas Boukhrief

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GALERIE D'IMAGES
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Le point de rupture... Irréversible ?
Le couple atypique, Albert Dupontel et Claude Perron : deux gueules.
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Que serions nous devenus sans Starfix ?
Feu Starfix