La Propagation du Chaos
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IRREVERSIBLE
Expérimental, choquant, déplacé, honteux, magistral, merdique... les qualificatifs ne manquent pas pour évoquer le film de Gaspard Noé qui a décrié la chronique l'année dernière... Retour sur cet ovni expérimental à l'occasion de la sortie du DVD Z2.
Souffrance, Violence, Amour.

Irréversible (2002)
Réalisateur : Gaspard Noé
Avec : Monica Belluci (Alex), Vincent Cassel (Marcus), Albert dupontel (Pierre), Joe Prestia (Le Tenia)...
Durée : 1h39

Irréversible - Affiche internationale
   

Si vous nous lisez depuis un certain temps, vous aurez remarqué que nous ne traitons dans les pages de La Propagation du Chaos que de nos coups de coeur, des films, des livres, des disques que nous avons vu, lu, écouté à multiple reprise. 'Irréversible' est une exception à notre ligne éditoriale tant il est tout simplement impossible d'apprécier 'Irréversible' en tant que spectacle cinématographique traditionnel. On ne peut tout simplement pas regarder 'Irréversible' à répétition à moins d'avoir clairement quelque chose qui cloche ou bien d'avoir envie, comme votre serviteur après son premier visionnage, d'analyser son fonctionnement.
Rarement film n'aura provoqué autant de réactions et d'interprétations contradictoires de la part du public, des médias et des critiques de cinéma à la sortie de 'Irréversible'. Indirectement, de par son extrémisme, 'Irréversible' pose les bases d'une interrogation profonde sur le rôle du cinéma et sur ce qui peut être montré ou pas à l'audience, de l'utilité ou non du cinéma comme révélateur, électrochoc d'une réalité délavée, passée sous silence par les médias...

Seul contre tous, Gaspard Noé a réalisé le film à rebrousse poil par définition. A aucun moment Noé ne se pose les questions usuelles qui aujourd'hui jalonnent la création d'un film commercialement viable (compréhension du récit, acceptation des images par le spectateur, censure des scènes trop dures). Gaspard Noé impose son idée, sa vision, et le spectateur subit le film plus qu'il ne le regarde. A l'image du viol physique d'Alex, le personnage interprété par Monica Belluci, le spectateur impuissant subit un viol psychologique à la condition bien sûr de résister à l'envie oppressante de quitter son siège ou de zapper (dans le cas du DVD).

Le point de départ de 'Irréversible' : une femme violée et sauvagement battue au cours de la nuit dans un passage piéton souterrain... Ces quelques lignes que le lecteur survole habituellement du regard dans le journal du matin se révèle être un "fait divers" d'une extrême banalité aujourd'hui de par un traitement médiatique banalisé, distancé et dépersonnalisé à l'extrême. En adoptant une démarche complètement inverse de celle des médias, Gaspard Noé nous montre toute l'ignominie, toute la cruauté d'un tel acte et ses conséquences destructives et sauvages sur l'entourage de la victime en replaçant "l'humain" au centre de ce drame. La souffrance est au centre du récit d'Irréversible' et c'est ce que cherche à faire ressentir Gaspard Noé en créant un lien fort entre les protagonistes du récit : Alex (Monica Belluci), Marcus (Vincent Cassel) et Pierre (Albert Dupontel) et le spectateur (vous et moi).
Pour y arriver, Gaspard Noé va user tout au long du métrage de tous les moyens offerts par 'la forme' cinématographique afin de transformer en profondeur 'le fond' et les implications du récit. Cette démarche dangereuse et peu compréhensible sans un certain recul au préalable est sans doute la cause du rejet en bloc et de l'incompréhension du métrage par une partie du grand public. Il faut en effet traverser une heure de métrage excessivement difficile et éprouvante avant de comprendre peu à peu la démarche et le message sous-jacent de 'Irréversible'.

Ainsi, la chronologie inversée, loin d'être un "gimmick gadget" est bien au centre de la compréhension du drame qui se déroule sous nos yeux et des lourdes conséquences qui en découlent : celui d'Alex violée et battue à mort dont nous ne saurons jamais si elle y a survécu, et celui de Marcus et Pierre qui gâchent leur existence à travers un acte aveugle de vengeance d'une violence inouïe. De par cette chronologie inversée, les scènes précédant l'agression nous montrent le bonheur du couple Alex / Marcus tels qu'il l'était avant le drame. Connaissant déjà la suite des événements, le spectateur impuissant assiste aux projets et espoirs d'avenir d'Alex et de Marcus et ces scènes d'intimité volée aux personnages sont alors paradoxalement d'une tristesse intraduisible.
De même, L'intrigue du récit n'est pas si différente de celle de 'Death Wish' ('Un justicier dans la ville' / 1973) où Charles Bronson est à la fois le bras vengeur de la destruction de son foyer et l'instrument d'une catharsis exutoire pour le public à travers sa démarche de violence. Or, la narration inversée choisie délibérément par le réalisateur de 'Irréversible' retire au public cette libération, cet exutoire. En imposant chronologiquement l'acte de vengeance avant le viol d'Alex, Gaspard Noé annihile le crescendo dramaturgique auquel le spectateur est confronté habituellement et lui refuse cet exutoire libérateur d'où un malaise, un rejet violent extrêmement naturel de la part des spectateurs et ce fut sans doute la réaction recherchée par le réalisateur manipulateur de 'Seul contre tous'(à rapprocher par certain aspects du Michael Haneke de 'Funny Games').

   

De plus, à l'inverse des films réacs des années 70, la vengeance par le sang, la violence animale qui découle de l'agression d'Alex est ici montrée du doigt, décriée par Gaspard Noé. Après LA scène du viol, illustrée par un plan fixe voyeuriste interminable et insupportable (j'insiste sur ces deux qualificatifs), la vengeance de Marcus et Pierre devient ridicule et pathétique à posteriori car on comprend alors qu'ils ont tué sauvagement un innocent tout en laissant Alex agonisante, seule sur son lit d'hôpital. En mettant en opposition ces deux choix (rester auprès d'Alex en laissant l'agresseur s'échapper ou se venger en laissant Alex seule), 'Irréversible' apparaît alors clairement comme un film prônant l'amour, la vie... et non la haine et la violence, qui au final détruiront tout avenir, tout espoir pour Alex, Marcus et Pierre.

A cette structure narrative inversée, s'ajoute la réalisation de Gaspard Noé extrêmement maîtrisée et réfléchie : la caméra voltige en long plan séquence " De Palmien sous acide " et illustrent les émotions qui habitent les personnages : tourbillon chaotique au début, la caméra devient un regard posé, paisible et fluide lors des scènes d'intimité entre Marcus et Alex (il en est de même pour les dialogues incompréhensibles dans la tourmente du début et qui progressivement deviennent limpides). Le découpage du film en une dizaine de plans séquence numériquement raccordés ajoute énormément au sentiment d'impuissance que ressent le spectateur (un montage 'cut' aurait vraisemblablement allégé la tension du film), et à l'irréversibilité du récit comme si l'avenir était déjà écrit (comme le dit le personnage d'Alex qui lit 'An experiment with time' de J.W Dunne).
La bande son 'Silent Hillienne'* réalisée par Thomas Bangalter, moitié de Daft Punk contribue en grande partie au malaise et à la mise en abîme du spectateur dans l'enfer qu'est la première partie de 'Irréversible' (vous vous souviendrez longtemps des bruits de sirène accompagnant la scène dans la boîte de nuit).

Mais au final, c'est le casting qui rend le récit de 'Irréversible' si désespérément humain, véridique et dérangeant. Gaspard Noé l'avoue lui-même dans le commentaire audio du film, la direction d'acteurs était quasiment réduite à zéro, Noé se contentant de donner de simples directives, les acteurs faisant le reste lors de longues improvisations. La formidable scène dans le métro est ainsi une improvisation d'Albert Dupontel prenant complètement au dépourvu Monica Belluci et Vincent Cassel. Au final, c'est l'humanité du casting (voir la scène intime entre Alex et Marcus) qui permet de donner tout le poids psychologique du récit. Le trio d'acteur est plus vrai que nature…Vincent Cassel en chien fou fait peur, Albert Dupontel en bombe à retardement est époustouflant et Monica Belluci... et bien on pleure pour elle.

'Irréversible' n'est pas un beau film, c'est une expérience douloureuse et exténuante dont on ressort traumatisé, bouleversé, dégoûté et dont les images vous hanteront longtemps après... mais on en ressort également avec une incroyable pulsion de vie ! Le temps détruit tout.

RVB
Néo Bàkà Gaijin
28/03/2003

* Référence plus particulière à l'épisode 'Silent Hill 2' (Konami), survival horror expérimental et véritable œuvre d'auteur dérangeante sur Playstation 2.
WEB LIST

www.nord-ouest.com/site/irreversible
Site officiel. du film 'Irréversible'


www.vialeweb.com/letempsdetruittout
Site consacré à l'oeuvre de Gaspar Noé... interviews, dossiers thématiques... A découvrir !

www.filmdeculte.com/coupdeprojo/...
Irréversible et la morale
: Analyse en profondeur des partis pris du film de Gaspard Noé...

L'annuaire de liens de la Propagation


GALERIE D'IMAGES
ELBISREVERRI
Le film n'a pas encore commencé qu'il est déjà fini... Irréversible.
Ajouter la musique de Thomas Bangalter
Le chaos de la séquence dans la boîte de nuit... Expérimental.
La caméra tournoyante de Noé
Pierre n'échappera pas lui non plus à la vengeance.
Dérangeant...
Après cette scène, plus rien ne sera comme avant.
Improvisations
Incroyable scène du métro qui permet de mieux cerner le personnage de Dupontel
Une séquence magnifique si on ne savait pas ce qui va arriver...
Intimité volée
Tout est déjà écrit...
'An experiment with time'
LE TEMPS DETRUIT TOUT
Le" Carpe Diem" façon Gaspard Noé
Gaspard Noé
Gaspard Noé sur le tournage de 'Irréversible'